Etude et partenariat entre le CEREN, l’ENSOSP (CERISC) et le CHU de Grenoble sur commande de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises.
Entretien avec :
Dr Frédérique GIROUD, Directrice du CEREN, Centre d’Essais et Recherche de l’Entente-Valabre
Colonel Jean-Marie STEVE, médecin Colonel de Sapeurs-Pompiers, chargé de mission pour les recherches au sein du CERISC (Centre d’Etudes et de Recherches de la Sécurité Civile) de l’ENSOSP.
Dr Renaud PERSOONS, pharmacien toxicologue au CHU de Grenoble, responsable du laboratoire de toxicologie professionnelle et Chercheur à l’Université Grenoble-Alpes.
Propos recueillis par Luc LANGERON.
LL : Dr Jean-Marie STEVE, cette étude sur l’exposition des sapeurs-pompiers aux fumées connait aujourd’hui sa deuxième phase, pouvez-vous nous en préciser ses contours ?
JMS : Mettre en œuvre la deuxième partie et la deuxième année de l’étude. La première année, nous avons travaillé avec le CEREN sur les toxiques dans l’air environnemental et maintenant nous allons compléter ces mesures par des prélèvements urinaires et le Dr PERSOONS est chargé des aspects biologiques, toxicologiques, dans les urines qui soient représentatifs de l’exposition et des toxines qui ont pénétré dans l’organisme.
LL : Dr Frédérique Giroud, le CEREN de Valabre est engagé depuis l’année dernière sur ce programme, Quels sont déjà les apports du centre de recherche de l’Entente ?
Dr FG : C’est l’instrumentation des sapeurs-pompiers sur le terrain pour récupérer, grâce aux tubes TENAX des prélèvements gazeux faits à proximité des panaches de fumées d’un feu de forêt. Nous avons commencé l’année dernière pour mettre au point le dispositif de prélèvement avec le véhicule de relevé scientifique, véhicule commun à l’ENSOSP et à Valabre. Les deux officiers sapeurs-pompiers équipés de tube TENAX, seront des officiers miroirs des intervenants sur les fronts de feux afin de les faire évoluer dans le même environnement opérationnel.
JMS : Nous avons deux impératifs : être autonomes pour ne pas gêner l’intervention et la sécurité des personnels investigateurs sur un incendie et parce qu’il s’agit de recherche ne pas intervenir sur le feu lui-même.
LL : Rappelez-nous l’originalité et l’intérêt de votre démarche ?
JMS : Cette recherche comble un vide, il n’a jamais été fait d’étude sur l’exposition aux fumées et résidus des sapeurs-pompiers lors des incendies de forêt. Cela a été fait en France sur les caissons, sur les brûlages dirigés, cela a été fait à l’étranger, mais avec des procédures différentes. Nous effectuons également des prélèvements urinaires chez les sapeurs-pompiers volontaires après intervention pour doser les toxiques ayant pénétrés, par la voie respiratoire mais aussi par la voie cutanée (suies et résidus de fumée) qui est une voie reconnue comme importante dans les publications scientifiques internationales. Voilà la justification de cette étude et sa difficulté sur des évènements qui sont ponctuels, imprévisibles, et non programmables ; Et nous ne savons pas à l’avance quels sont les sapeurs-pompiers qui vont intervenir.
LL : Pourquoi il est déterminant de connaître ces impacts sur les intervenants et leur santé?
JMS : Il y a des enjeux de santé importants, parce que tout simplement, on ne sait pas à quel niveau sont exposés les sapeurs-pompiers sur des toxiques diffusées lors des feux.
Renaud PERSOONS quelles sont selon vous les déterminants de cette étude ?
RP : Je vois trois enjeux importants, le premier c’est d’avoir une idée précise de la réalité des expositions des sapeurs-pompiers par rapport à ces fumées car les caractéristiques sont différentes, selon qu’il s’agisse de feu de forêt, feu urbain ou feu de caisson.
Le deuxième enjeu, c’est d’obtenir des résultats qui permettront d’améliorer la protection, les EPI et les procédures opérationnelles, et le troisième enjeu qui est beaucoup plus médical, c’est de mettre à disposition des données pour, le cas échéant, adapter la surveillance médicale qui est faite pour les sapeurs-pompiers et la reconnaissance de la maladie professionnelle.
LL : Aujourd’hui ces corrélations ne sont pas démontrées ?
RP : La difficulté, c’est que si on n’arrive pas à démontrer une exposition, on n’arrive pas à faire le lien entre cette exposition et la maladie.
LL : Parlez-nous des résultats et de leurs parutions ?
JMS : Cette étude est paramétrée sur deux ans, mais bien entendu, elle dépend des incendies, comme l’a dit le Dr Frédérique GIROUD, heureusement pour l’environnement, malheureusement pour l’étude, il n’y a pas eu de feu dans le SDIS 13 en 2024. En conséquence, nous l’avons étendue au SDIS 34 et aux colonnes de renfort basées à l’ENSOSP. Ensuite, on aura une période d’analyse des résultats, puis d’interprétation des résultats, puis après ce sera déjà communiqué, il y aura des publications et cela appartiendra à la profession dans toutes ses composantes de s’emparer de ces résultats pour en faire des recommandations sur le terrain.
LL : On sait que déjà ce qui traîne dans l’atmosphère, les fumées, les gaz, les particules, ce sont des toxiques… on a déjà une petite photo de ce qui se passe dans les fumées et qui peut agir sur la santé humaine ?
Dr FG : Je ne répondrai pas sur la santé humaine, ce n’est pas mon travail, par contre effectivement, on sait que les fumées contiennent des composants toxiques et des composants irritants. Cependant ce qui est important est de savoir effectivement combien de temps un pompier va être exposé à ces fumées sur une saison feux de forêts et donc tout au long de sa carrière. En effet, on peut très bien, à un moment donné, être dans un environnement toxique, mais pas suffisamment de temps pour que cela ait un impact sur sa santé, à long terme.
LL : C’est la dose et la durée d’exposition…
Dr FG : Exactement.
LL : Pouvez-vous nous dire combien est important le travail partenarial ? entre l’ENSOSP et le CEREN ?
JMS : La complémentarité, la pluridisciplinarité est représentée au sein de l’équipe de pilotage par Frédérique Giroud, moi-même et Alain RASTOUIL, qui est officier sapeur-pompier et qui a une solide formation feu de forêt de l’entente et une expérience de terrain. Il appartient aux deux structures. Personnellement je suis sapeur-pompier, médecin du travail. Je connais bien toutes ces problématiques opérationnelles de travail. Frédérique Giroud, la Directrice du CEREN est experte pour la partie toxicologique environnementale. Renaud PERSOONS est expert de la partie bio-toxicologie du corps humain.
Dr FG : Oui, on fera des points d’étapes régulièrement mais nous espérons que cette collaboration enrichissante et passionnante s’inscrive dans la durée et commençons déjà à élaborer les études futures.
LL : il y a un enjeu fort de communication pour cette étude ? Vous garantissez une totale transparence pour diffuser vos résultats ?
JMS : Totale transparence, avec une condition, ils seront anonymes. Les règles éthiques de cette étude ont été validées par le Comité d’Intégrité de la Recherche et de Déontologie de l’ENSOSP.
RP : Il y aura des résultats et sur les aspects biologiques, ce sont des examens médicaux qui relèvent du secret médical sur le plan individuel, donc la diffusion ne peut se faire que de façon statistique et anonyme qui permet quand même d’en tirer des conclusions très satisfaisantes.